LES OSTENSIONS LIMOUSINES
"Ostensions 1939", Sardin, 1939.
Les images de la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine invitent les usagers et curieux à découvrir et à approfondir un événement exceptionnel, majoritairement limousin : les Ostensions. En effet, nous pouvons noter l'organisation de ces fêtes en Charente notamment. Tous les sept ans, les Ostensions sont l'occasion de vénérer les saints à travers le culte de leurs reliques et de grandes processions organisées en leur honneur dans diverses communes de la région. Ces célébrations inédites participent à la consolidation d’une identité collective à travers l'histoire des saints locaux.
LE CULTE DES SAINTS
La religion chrétienne est fondée, entre autre, sur la dévotion envers les martyrs et les saints qui tiennent une place importante dans la liturgie. Dès l'Antiquité tardive, les représentants du pouvoir politique et religieux s'empressent de favoriser la culture pieuse grâce à l'instauration des nouvelles pratiques. En convoquant les restes et les objets ayant touché, physiquement ou symboliquement les personnes illustres, l'Eglise veut créer un lien entre l'humanité et les sphères éthérées. Après les martyrs, viennent les saints, honorés pour leurs bonnes actions et leurs vies pieuses, à travers des traces matérielles. Ils forçaient l’admiration de tous, y compris, peu à peu, de ceux qui les suppliciaient. Ces martyrs, par les souffrances qu’ils enduraient, témoignaient d’une foi sans faille. L'effervescence autour de ces objets sacrés conduit les autorités religieuses à légiférer sur leurs adorations à travers la création de tout un vocabulaire pour désigner les différentes reliques. En effet, elles ne veulent pas renouer avec les traditions païennes qui tendent à ressembler aux superstitions. Il s'agit de rappeler que ce n'est pas l'objet qui est vénéré mais le souvenir qu'il renferme. Au cours de conciles et autres réunions officielles, les ecclésiastiques fixent donc des règles. Grâce à cela, ils veulent rattacher l'adoration des reliques au culte des saints et des martyrs, intrinsèquement liée à la figure christique, à une adoration cohérente dans le but de fonder une continuité canonique. Malgré tout ce processus de législation, l'Eglise est confronté à des abus, notamment la multiplication frauduleuse et à la circulation officieuse de nombreuses reliques. Cet aspect est vivement critiqué par la Réforme, portée par Luther à partir du XVIème siècle puis par Calvin. Ces derniers, fortement opposés à ces cultes, y voient une idolâtrie fantaisiste envers les images, qui s'écarte d'une foi plus rigoureuse.
Les reliques finissent par détenir une aura indispensable dans la société. La relique devient un élément sociétal. Lors des épidémies, des guerres, des disettes, des cérémonies officielles royales, on procède à leur ostension. Chaque ville ou village a son saint et veut sa relique ; il n’est pas jusqu’aux corporations et métiers qui n’aient leurs saints patrons et qui ne désirent s’offrir quelques fragments du corps de leur saint. Pour toutes les processions, il faut des reliques, et la société féodale puis moderne, en son entier, va réclamer des reliques.
En découle alors un véritable culte des reliques, objets précieux qui renferment l'identité propre du défunt saint à laquelle on associe des vertus extraordinaires. Plusieurs rituels sont mis en place, notamment celui qui est pratiqué en Limousin : l'ostension. L'ostension désigne dans la liturgie catholique la présentation, occasionnelle ou périodique, des reliques des saints à la vénération des fidèles. Ces présentations de reliques étaient parfois appelées la montre, ou la vote, en raison des vœux qu'on y accomplissait.
Le culte des saints se développe alors à travers les reliques de ces derniers. Les reliques désignent les restes mortels des hommes pieux et, au sens large, les objets leur ayant appartenu ou ayant été en contact avec eux. La symbolique est hautement importante. Dans une société pieuse, l'objet est le saint. Par son intermédiaire, il conserve les vertus et les pouvoirs de ces hommes illustres. Afin de renforcer la sacralité les vestiges des figures de l'Église, les ecclésiastiques les enferment dans des ouvrages richement sculptés et ornés. On fait appel aux savoirs artisanaux pour souligner le caractère exceptionnel des objets qui atteste d'un prestige incontesté. Les supports sont multiples mais la châsse est l'élément le plus représentatif. Ils sont souvent élaborés en métal noble (bronze, cuivre, laiton, or...) et sont surmontés des plus beaux artifices : des pierres précieuses, des décors sculptés, parfois émaillés pour les plus admirables. Le choix de ces ornementations vise à amplifier la symbolique des fragments qu'ils protègent. Les films amateurs deviennent des sources essentielles lorsqu'il s'agit de montrer les différents types d'écrins sacrés, qui déambulent devant les foules curieuses.
De gauche à droite : "Ostensions à Ambazac", Bernard Mourier, 1953, "Ostensions, Le Dorat", Yves Pouffary, 1967 et "Ostensions de Javerdat", Philippe Maillot, 1967.
LE «MAL DES ARDENTS»
À la fin du Xème siècle, le Limousin est frappé par une maladie dont on ne connait pas les causes. Les personnes atteintes sont prises par des crises de chaleur intense qui s’apparentent, selon les chroniques médiévales, à un feu intérieur que rien ne peut apaiser. Alors que certaines personnes ne gardent que peu de séquelles, des malades voient leurs membres violacer voire noircir sans aucune sensibilité tandis que certains sont confrontés à la perte totale de leurs membres. Pour d’autres individus, l’infection est tellement avancée qu’ils meurent. Les foules sont désemparées et se tournent rapidement vers les conseils de l’Église. Cette dernière, soucieuse de répondre à la détresse des malades et de comprendre l’origine du «mal», décide d’intervenir. Les fidèles et le clergé y voit une malédiction, un mécontentement de la figure divine. L’évêque de Limoges ordonne un jeûne de trois jours et invoque saint Martial, le protecteur de la ville. Les prélats d’Aquitaine sont conviés à la cérémonie où nombre de saintes reliques sont sollicitées pour intercéder auprès de Dieu. En novembre 994, dans une atmosphère solennelle, le corps du saint de Limoges est extrait de son tombeau, dans la crypte de l’abbaye éponyme, et suit une pérégrination jusqu’au Mont Jovis. Parvenues sur la colline dominant la ville, les reliques sont exposées à la vue et à la vénération des fidèles. Ils se pressent vers les restes du saint dans le but de capter une certaine guérison. Quand le corps du premier évêque de Limoges regagne sa place funèbre le 4 décembre, le fléau a cessé. Les témoignages de l’époque, qui rappellent l’écho de cette crise, estiment qu’il y a eu approximativement sept mille guérisons.
C'est la première manifestation, que l'on identifie anecdotiquement de première «ostension» qui s'est déroulée à Limoges en 994, lorsque les reliques de saint Martial, premier évêque, patron et protecteur de la cité, ont été extraites de son tombeau et montrées aux fidèles pour éloigner l'épidémie ; le «mal des Ardents», qui ravageait l'Aquitaine et une partie de Limoges. Un film amateur, daté de 1974, évoque l'avènement du phénomène des ostensions. Lors d'une cérémonie destinée à célébrer les restes de saint Martial dans les années 1970, l'amateur pose sa caméra sur un panneau expliquant la naissance des manifestations religieuses populaires grâce un plan fixe.
"Ostensions limousines", Albert Delage, 1974.
Aujourd’hui, la cause de ce fléau est connue, il s’agit d’une intoxication à l’ergot. Mais les savoirs médiévaux et les techniques médicales, encore balbutiantes à ce propos, n’ont pas permis de qualifier la maladie. Indirectement lésés par le manque de connaissances, la société médiévale, ancrée dans un monde teinté de religion et de croyances, s’est saisie de ce phénomène comme étant le signe d’un châtiment divin. Détentrices de pouvoirs mystiques affiliés aux saints, les reliques se sont substituées à tous traitements et mettent en avant la portée curative des symboles de la foi. Il faut également rappeler que les ostensions ont une résonance particulière lorsqu’il s'agit de créer un climat sécuritaire. En effet, les cérémonies sont souvent organisées pour prévenir ou enrailler des calamités (épidémies, famines ou guerres). Hormis le caractère salvateur, lorsque d'autres occasions se présentent, les ostensions revêtent une dimension différente. Elles peuvent être liées soit à un événement religieux, soit à la venue de grands personnages cléricaux ou laïcs ou bien lorsque la cité est confrontée à des troubles politiques et militaires. Il existe donc plusieurs modèles d' «ostensions » mais la fête populaire retrouve néanmoins, dans son organisation, une dimension protectrice.
Les épisodes du «mal des Ardents» sont ainsi directement rattachés à la création des ostensions limousines. Même si cette manifestation inédite n’est pas à l’origine de la célébration et de la vénération des objets sanctuarisés, elle permet de souligner l’attachement des populations locales à leurs saints. Cette épidémie marque les caractéristiques d’une cérémonie religieuse et salvatrice qui permet, des siècles plus tard, d’étoffer l’identité limousine.
LES OSTENSIONS
La Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine possède plusieurs archives mettant en avant ces cérémonies religieuses populaires. La plus ancienne trace filmique des ostensions date de 1939 et se poursuit jusqu'en 1974. Cela permet alors d'appréhender le phénomène local tout en en appréciant leurs caractéristiques singulières.
Tous les sept ans, rythme déterminé aux alentours du XVIème siècle, les défilés tendent à évoquer le souvenir et les actions, souvent bénéfiques, des personnages sacrés de l'Église. De mai à juin, les villes qui accueillent des ostensions se mobilisent pendant de longs mois de préparation. Les reliques des saints limousins suivent un parcours scrupuleusement établi et déambulent progressivement dans les rues des villes organisatrices. Il s'agit de diffuser tout un héritage spirituel et culturel, représenté par les reliques lovées dans des châsses et autres reliquaires richement décorés. Il est tout de même important d'évoquer les changements auxquels les ostensions sont confrontés surtout au niveau religieux. Ces dévotions religieuses perdent peu à peu leurs symboliques pieuses, destinées uniquement à un public de fidèles. De nombreuses crises provoquent alors la mutation de ce phénomène. L'implantation du protestantisme, relatif en Limousin, les réformes chrétiennes mais surtout les changements sociaux associés de nouvelles politiques aux XVIIIème et XIXème siècles (la Révolution Française, la proclamation des Républiques...) tendent à diminuer voire effacer l'empreinte ecclésiastique des ostensions. Ces événements, toujours liés aux cultes passés de l'Eglise, sont progressivement laïcisées pour subsister dans les espaces publics.
Chaque ostensions ont depuis longtemps leurs particularités, notamment à Limoges, Saint-Léonard-de-Noblat ou Saint-Junien : décors, rituels, costumes et composition des processions sont propres à chacune d'elles. Toutefois, elles ont des points communs : les préparatifs spirituels et matériels, la cérémonie du drapeau pour annoncer les festivités, la solennité des cérémonies d'ouverture et de clôture et les défilés des confréries. Au même titre que les autres instances qui organisent les manifestations, telles que les associations et les comités, elles possèdent un rôle essentiel quant au déroulement des ostensions. Dans le but de saisir l'essence de ces manifestations limousines, certains films de la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine, issus d'un ensemble pluriel, semblent intéressants.
"65e Ostensions", Club des Amateurs Cinéastes du Limousins, 1967.
Le Club des Amateurs Cinéastes Limousin immortalise les différentes étapes des manifestations ostensibles. Les images sont riches de témoignages. D'abord, nous pouvons voir la cérémonie du drapeau. Sa montée annonce solennellement l'ouverture des ostensions. L'oriflamme, préalablement béni, est composé d'une croix blanche sur fonds amarante et est placé au sommet d'un édifice religieux principal. À Limoges, comme nous le montrent les images, c'est le clocher de l'église Saint-Michel-des-Lions qui est choisi. La reconnaissance des reliques est également un moment fort des ostensions qui est retranscrit par le film. La vérification se fait en présence des fidèles ; les reliques sont montrées à la foule avant d'être replacées dans leur reliquaire. Pour ouvrir successivement les écrins ouvragés avec leur clef respective s'avancent l'évêque, le maire, le curé de la paroisse et le premier bayle, président la confrérie de Saint-Martial. C'est à ce dernier que revient l'honneur de présenter le reliquaire à l'évêque qui coupe les rubans qui l'entourent et extrait les restes du saint. Une succession de rituels (vérification de l'état de conversation, onction, mise en place d'un tissu visant à protéger les reliques, apposition du sceau de l'évêque et rédaction d'un nouveau procès-verbal) est respectée envers les vestiges des saints afin de clore la reconnaissance. Enfin, le film se termine par les nombreux défilés de contenants dans les rues de la ville, qui finissent leur pérégrination dans les édifices religieux.
LES OSTENSIONS DE LIMOGES
De gauche à droite : "Ostensions 1939", Sardin, 1939 et "Ostensions pour la paix 1939", Henri Vergniaud, 1939.
Dans les fonds audiovisuels de la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine, quelques archives soulignent le caractère inédit d'une des éditions des ostensions de Limoges. En effet, cette année-là, la cérémonie septennale se déroule en avril 1939, quelques mois avant l'éclatement de la Seconde Guerre Mondiale. Le contexte géopolitique sous tension, particulièrement révélé par les accords de Munich, traduit une certaine incertitude quant à l'avenir de la France et de l'Europe. Ainsi, malgré l'annulation de la circulation des reliques gardées dans les édifices religieux, les organisateurs des manifestations populaires sont autorisés par la municipalité de Limoges à faire défiler le char de la Paix, dans le cadre d'un «cortège historique» pour l'ouverture des festivités. Les caméras des réalisateurs s'attardent sur la machine ambulante, décorée de vert et de blanc, où des figurants personnifient des vertus pacifiques : l'Espoir et la Paix.
LES OSTENSIONS DE SAINT-LÉONARD-DE-NOBLAT
"Ostensions 1953", Maurice Labouchet, 1953.
Saint Léonard fait partie des personnages importants en Limousin. Il jouit d'une célébrité à laquelle les populations sont profondément attachées, principalement dans la cité qui porte son nom. À sa mort, dans le courant du VIème siècle, son tombeau devient un lieu de pèlerinage qui permet progressivement la création d'une ville. La relique la plus prestigieuse de Léonard est son chef, qui au début du XVème siècle est déposé dans un reliquaire en vermeil, au sein de la collégiale, édifice qui reflète les prouesses de l'art architectural roman auquel s'ajoute des éléments gothiques. Sa renommée est tellement grande qu'il reste l'un des saints vénérés en Europe. Cela remémore alors la particularité des ostensions de Saint-Léonard-de-Noblat. Elles réunissent plusieurs délégations de paroisses et lieux de culte de «saint Léonard» extérieurs.
Les délégations autrichienne, portugaise et suisse de Saint-Léonard "Ostensions à Saint-Léonard-de-Noblat", Années 1960.
LES OSTENSIONS DE SAINT-JUNIEN
De gauche à droite : "Ostensions 1974", Gaston Mondouaud, 1974 et "Ostensions à Saint-Junien", Gillbert Julien, 1974.
Les films amateurs évoquent l'avancement des ostensions dans la municipalité de Saint-Junien. Les deux saints rattachés à la ville sont saint Amand et saint Junien. Lors des processions, différents épisodes de la vie des deux personnages sont représentés dans des théâtres de verdure, le long du parcours. Les rues de la ville sont alors boisées afin de plonger les participants et les spectateurs dans une atmosphère onirique. Aux côtés des représentations des saints, les ostensions sont également utilisées pour aborder l'histoire locale. De nombreux personnages historiques ayant contribué au rayonnement et à la célébrité de la Nouvelle-Aquitaine, plus particulièrement du Limousin, sont convoqués afin de souligner un patrimoine culturel dynamique. Plus qu'un rappel de l'héritage ecclésiastique qui tend à être gommé face à la couleur politique de la ville, les ostensions de Saint-Junien participent au devoir mémoriel en convoquant les grandes figures de l'Histoire afin de saisir les grands événements du passé. Pendant les processions, les saints côtoient des individus illustres qui, ensemble, ont contribué à forger une identité commune, identité à laquelle les habitants sont profondément attachée.
Rapellons que la cinémathèque détient des archives inédites sur les Ostensions saint-juniaudes, celle de Jean-Pierre Valladeau. Des années 1960 à 2009, ce filmeur est à l'origine d'archives retraçant les festivités. Ces documents seront visibles sur le site très prochainement.
De gauche à droite : Marguerite d'Ecosse "Ostensions 1974", Gaston Mondouaud, 1974 - Jeanne d'Arc et Clovis, "Ostensions à Saint-Junien", Gilbert Julien, 1974.
Les images amateurs soulignent un point important de ses ostensions limousines, celui de la ferveur populaire. Ces fêtes sont l'occasion pour les populations locales et étrangères de se retrouver pour admirer les vestiges passés du clergé et par conséquent l'histoire, riche, du patrimoine régional. Elles illustrent les spécificités d'un phénomène local exceptionnel qui remémore l'histoire du Limousin à laquelle les natifs sont particulièrement attachés. Relatif à un phénomène expiatoire chapeauté par les instances religieuses, les ostensions finissent par perdre cet aspect et s'implantent dans les mentalités comme un événement populaire qui, depuis 2013, est inscrit sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l'humanité de l'UNESCO.
BIBLIOGRAPHIE
-ALLARD Jean-Marie, CAPOT Stéphane, PÉROUAS Louis, Une histoire des ostensions en Limousin, Limoges, Culture & Patrimoine en Limousin, 2007.
-BIOTTI-MACHE, Françoise, «Aperçu sur les reliques chrétiennes», Études sur la mort, volume 131, numéro 1, 2007, pages 115-132.
-D'HOLLANDER, Paul, Ostensions : entre culte et culture, deux siècles d'histoire limousine, Brive-la-Gaillarde, Éditions les Monédières, 2015.
-GAUVARD Claude, La France au Moyen Age du Ve au XVe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2010.
-PEROUAS, Louis,“Ostensions et Culte des saints en Limousin : une approche ethno-historique», Ethnologie Française, volume 13, numéro 4, 1983, pages 323–336.
-UNESCO, Fiche «Les ostensions septennales limousines», https://ich.unesco.org/fr/RL/les-ostensions-septennales-limousines-00885.
© Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine