Sélection CDNA - L'Occupation (1ère partie) Jeudi 06 Juin

À l’occasion du 80e anniversaire de la Libération, nous vous proposons de découvrir des films rares et inédits, issus des collections de la CDNA, au cours de cette sélection spéciale consacrée aux images de la Seconde Guerre mondiale. Publiée en trois parties, cette sélection reviendra sur les images amateures de l'Occupation (1), sur celles réalisées pendant la Libération (2) et sur les archives filmiques abordant la vie quotidienne des Français dans ce contexte troublé (3).

Les cinéastes amateurs pendant la guerre

Défaite par une offensive éclair menée sur son territoire, la France signe l’armistice avec l’Allemagne nazie à Rethondes, le 22 juin 1940, dans des conditions désastreuses. L’Occupant prévoit de couper le territoire en deux parties : une zone nord dite « occupée » est administrée par l’armée allemande, tandis qu’une zone sud dite « libre » demeure sous le contrôle de l’Etat français. Le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale vote les pleins pouvoirs à Philippe Pétain qui promulgue une nouvelle constitution autoritaire, celle de l’Etat français, plus connu sous l’appellation de « régime de Vichy ».

Sous l’Occupation, l’Etat français mène une politique de collaboration, antisémite et répressive. En zone occupée, l’armée allemande installe des garnisons dans la plupart des villes et met en place une administration autoritaire et implacable. Dans ce contexte, les cinéastes amateurs subissent directement les contraintes de l’Occupation. Le 22 octobre 1940, les autorités allemandes décrète l’interdiction de la « prise de vue dit de formats réduits de n’importe quelle espèce et de n’importe quelle dimension » en zone occupée (Le Film, n°4, 1er décembre 1940). La vente, le développement et le tirage de pellicules n’est autorisé que pour les soldats allemands, à l’exclusion de tout autre client. Dans les deux zones, les cinéastes sont également soumis aux aléas des pénuries et aux restrictions imposés sur les matières premières pour se fournir en matériel de cinéma.

Malgré ces difficultés importantes, des cinéastes amateurs ont pourtant continué de filmer tout au long de la Seconde Guerre mondiale. La CDNA conserve actuellement plus de 138 films tournés entre 1940 et 1944. Quelques cinéastes ont pu rationner leurs propres stocks de pellicules, constitués avant la guerre, se fournir sur le marché noir ou mobiliser leurs réseaux pour acquérir du matériel. Quelques anonymes ont pu filmer l’évolution de l’occupation allemande et l’édification du régime de Vichy. Tournés sur le vif, dans des conditions parfois dangereuses, ces témoignages filmiques ont permis d’immortaliser le sort de plusieurs territoires pendant la guerre et à la Libération. Mais de nombreux cinéastes ont également participé à documenter la vie quotidienne des Français, en filmant plus modestement leur vie de famille et leurs loisirs dans ce contexte bouleversé.

L’étau se desserre progressivement à partir du mois de juin 1944. Les deux débarquements alliés en Normandie (6 juin) et en Provence (15 août) marquent le début de la Libération du territoire français. Dans ce contexte d’euphorie, les cinéastes amateurs filment spontanément l’avancée des troupes alliées et la libération des villes dans leur sillage. Mais les documents tournés à cette période ne sont pas seulement des témoignages informatifs ; ce sont de véritables « films de souvenirs » (Julie Guillaumot) qui mettent en scène des images, des motifs et des symboles récurrents, comme l’arrivée des troupes, les défilés spontanés et les cérémonies officielles. Ces films s’inscrivent dans un puissant mouvement mémoriel, qui naît à la fin de la guerre, et partagent plusieurs objectifs communs. A travers leurs images, les cinéastes amateurs ne cherchent pas seulement à apporter un témoignage historique, mais à raconter une expérience singulière pour l’inscrire dans un cadre collectif. Et comme le montrent les nombreux films tournés à Oradour-sur-Glane après le massacre du 10 juin 1944, ces récits d’amateurs cherchent également à montrer et à décrire les crimes commis par les nazis pour en dénoncer leur barbarie.

Pour aller plus loin :

- Henry Rousso, Les années noires : Vivre sous l’Occupation, Gallimard, coll. Découvertes, Paris, 1992.

- Jean-Pierre Bertin-Maghit, Le cinéma français sous l’Occupation, Perrin, Paris, 2002. Voir aussi du même auteur, Les Documenteurs des Années Noires, Nouveau monde, Paris, 2004.

- Julie Guillaumot, « Des films monuments pour dire « L’Histoire de chez nous » : souvenirs et récits de la guerre par les cinéastes amateurs dans l’immédiat après-guerre (1944-1945) » in Valérie Vignaux, Benoît Turquety, L’Amateur en cinéma. Un autre paradigme. Histoire, esthétique, marges et institutions, AFRHC, Paris, 2016.

 

Première partie - Filmer l’Occupation et le régime de Vichy

 

L’invasion et l’occupation allemande

Sous l’Occupation, quelques cinéastes amateurs se sont emparés de leur caméra pour filmer l’irruption soudaine de l’armée allemande dans le quotidien des Français. Les déplacements de la Wehrmacht sur le territoire français provoquent une vague de sidération et d’inquiétude au sein de la population. Ils revêtent un caractère exceptionnel, qui explique la volonté de certains cinéastes d’immortaliser ces scènes hors du commun.

Plusieurs films, conservés par la CDNA, donnent à voir l’invasion allemande et offrent des éléments pour comprendre sa perception par les habitants dans les territoires occupés. Quelques jours avant la signature de l’armistice, Jean Texier immortalise, par exemple, l’arrivée des soldats allemands dans la ville de Loudun (Deux-Sèvres). Plusieurs séquences, réalisés par un cinéaste anonyme à Marennes (Charente-Maritime), permettent d’assister au plus près au stationnement de la Wehrmacht dans cette ville. En 1942, la famille Nardini filme, de son côté, un convoi allemand, transportant du matériel militaire, sur le boulevard de Charonne à Paris.

Pour filmer ces séquences, les cinéastes amateurs emploient des caméras légères et pratiques qui leur permettent de faire preuve d’une souplesse nécessaire au cours de leur prise de vue. Ces documents filmiques partagent d’ailleurs une esthétique commune, caractéristique de cette période d’interdiction et de danger. Comme on peut le voir à travers ces séquences, l’armée allemande est souvent filmée discrètement, en plongée, depuis une fenêtre en hauteur d’un bâtiment. Plusieurs éléments – le cadre mouvant, la caméra cachée, le point de vue éloigné – nous rappellent la nécessité, pour les cinéastes amateurs, de se dissimuler de l’Occupant, conférant à ces images un aspect volé. Les choix esthétiques de mise en scène s’effacent au profit de l’évènement et de l’action en cours.

 

Défilé de soldats allemands, Jean Texier, 1940

Marennes pendant la guerre, Anonyme, 1944

Paris sous l’Occupation, Jean et Paul-Louis Nardini, 1940

 

Les voyages du Maréchal en Limousin (1940-1942)

Quelques semaines après l’instauration de son nouveau régime, le maréchal Philippe Pétain multiplie les visites officielles en zone libre. Ces voyages donnent lieu à des manifestations grandioses, soigneusement préparées et mobilisant toute la population. Ces déplacements ont pour objectif de reconstruire une identité nationale, mise à mal par la défaite, et de réunir les Français autour des valeurs de la Révolution nationale.

Les voyages du Maréchal ont été l’objet d’une importante production filmique : les actualités filmées, diffusées par le gouvernement, ont fait de ces visites officielles un thème central de la propagande déployée par le régime de Vichy. Mais au-delà des images officielles, des cinéastes amateurs ont également eu l’occasion de filmer ces voyages et de produire des images originales, sortant des canons officiels. Souvent réalisés sur le vif, les documents amateurs permettent de mesurer le niveau d'enthousiasme des foules venues accueillir le maréchal Pétain et de cerner les logiques organisationnelles de ces rituels politiques.

Les collections de la CDNA comprennent actuellement plusieurs films, réalisés par des cinéastes amateurs, mettant en scène les visites du maréchal Pétain à Limoges (Haute-Vienne, 1941), au château de Walmath (Haute-Vienne, 1941) et à Tulle (Corrèze, 1942). Ces grandes manifestations ont été filmées depuis des points de vue différents, que ce soit à la fenêtre d'un immeuble ou dans la foule rassemblée dans les rues pour assister au passage de Philippe Pétain. Mais ces documents présentent un certain nombre de points communs, ainsi qu'une esthétique proche. La grande majorité des films insiste, par exemple, sur l'imposante symbolique déployée par le régime, à travers l'omniprésence des portraits du Maréchal et des emblèmes du régime de Vichy (francisque, blason) qui ponctuent les nombreuses décorations.

 

Maréchal Pétain en Limousin, Anonyme, juin 1941

Visite du Maréchal Pétain à Tulle, Anonyme, 8 juillet 1942

Le Maréchal Pétain et l’Amiral Darlan à Limoges, Yvon et Suzanne Delrous, 20 juin 1941

 

Le régime de Vichy et les acteurs de sa propagande

Les voyages du Maréchal ne sont pas les seules cérémonies officielles employées par le régime de Vichy pour diffuser sa propagande auprès de la population. Pendant la guerre, de nombreuses manifestations ont également rempli cette fonction de rassemblement autour des valeurs pétainistes, avec le concours des personnalités officielles, des organisations autorisées, des notables et de la population locale.

Les films d’amateur permettent de brosser un portrait de ses cérémonies et de comprendre les logiques d’implantation du régime dans les différentes strates locales. En 1940, Paul Mourier (pharmacien) a filmé le déroulement de la cérémonie de commémoration de l’armistice de 1918 à Limoges.  Cet hommage se déroule dans un contexte particulier : c’est la première commémoration à être organisée après la défaite et l’invasion allemande. En zone occupée, l’armée allemande interdit toute célébration de l’armistice. Le régime de Vichy est dans une situation complexe : Philippe Pétain souhaite maintenir cet hommage sans froisser les autorités allemandes. Le 11 novembre 1940, des cérémonies sont organisées pour rendre hommage aux soldats morts pendant la Première Guerre mondiale et pendant l’invasion de 1940. Toute référence à la victoire sur l’Allemagne est soigneusement évitée.

A Limoges, Paul Mourier prend soin de filmer les nombreux participants de cette manifestation publique. La cérémonie rassemble les principales organisations crées par le régime de Vichy pour alimenter son projet de régénération du pays. La Légion française des combattants (LFC), créée par le maréchal Pétain en août 1940 à la suite de la dissolution des associations d’anciens combattants, conduit cet hommage. Elle est entourée de plusieurs organisations de jeunesse autorisées par le régime (Scouts de France) ou créées par lui (Chantiers de la jeunesse française). La cérémonie rassemble plusieurs notables locaux, comme Mgr Louis-Paul Rastouil (évêque de Limoges), et plusieurs officiels (le général Joseph Jeannel). Paul Mourier immortalise également la présence de François Bard, amiral et préfet de Haute-Vienne depuis septembre 1940, responsable de la répression dans la région. En tant que préfet de police de Paris (1941-1942), François Bard a été responsable de la création du camp d’internement de Drancy.

Bien d’autres films amateurs permettent d’identifier les relais locaux de la propagande et les objectifs symboliques de Vichy. A travers ces cérémonies en grande pompe, le gouvernement de Vichy cherche à ancrer les symboles de la Révolution nationale et à mettre l’emphase sur les attributs de la puissance militaire, pour faire oublier l’humiliation de la défaite.

 

11 novembre 1940, Paul Mourier

 

Retrouvez bientôt la deuxième partie de cette sélection spéciale Seconde Guerre mondiale, consacrée aux films de la Libération.

Auteur : Dwayne Chavenon