Sélection CDNA - La Libération (2e partie) Jeudi 13 Juin

À l’occasion du 80e anniversaire de la Libération, nous vous proposons de découvrir des films rares et inédits, issus des collections de la CDNA, au cours de cette sélection spéciale consacrée aux images de la Seconde Guerre mondiale. Publiée en trois parties, cette sélection reviendra sur les images amateures de l'Occupation (1), sur celles réalisées pendant la Libération (2) et sur les archives filmiques abordant la vie quotidienne des Français dans ce contexte troublé (3).

 

Les cinéastes amateurs pendant la guerre

Défaite par une offensive éclair menée sur son territoire, la France signe l’armistice avec l’Allemagne nazie à Rethondes, le 22 juin 1940, dans des conditions désastreuses. L’Occupant prévoit de couper le territoire en deux parties : une zone nord dite « occupée » est administrée par l’armée allemande, tandis qu’une zone sud dite « libre » demeure sous le contrôle de l’Etat français. Le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale vote les pleins pouvoirs à Philippe Pétain qui promulgue une nouvelle constitution autoritaire, celle de l’Etat français, plus connu sous l’appellation de « régime de Vichy ».

Sous l’Occupation, l’Etat français mène une politique de collaboration, antisémite et répressive. En zone occupée, l’armée allemande installe des garnisons dans la plupart des villes et met en place une administration autoritaire et implacable. Dans ce contexte, les cinéastes amateurs subissent directement les contraintes de l’Occupation. Le 22 octobre 1940, les autorités allemandes décrète l’interdiction de la « prise de vue dit de formats réduits de n’importe quelle espèce et de n’importe quelle dimension » en zone occupée (Le Film, n°4, 1er décembre 1940). La vente, le développement et le tirage de pellicules n’est autorisé que pour les soldats allemands, à l’exclusion de tout autre client. Dans les deux zones, les cinéastes sont également soumis aux aléas des pénuries et aux restrictions imposés sur les matières premières pour se fournir en matériel de cinéma.

Malgré ces difficultés importantes, des cinéastes amateurs ont pourtant continué de filmer tout au long de la Seconde Guerre mondiale. La CDNA conserve actuellement plus de 138 films tournés entre 1940 et 1944. Quelques cinéastes ont pu rationner leurs propres stocks de pellicules, constitués avant la guerre, se fournir sur le marché noir ou mobiliser leurs réseaux pour acquérir du matériel. Quelques anonymes ont pu filmer l’évolution de l’occupation allemande et l’édification du régime de Vichy. Tournés sur le vif, dans des conditions parfois dangereuses, ces témoignages filmiques ont permis d’immortaliser le sort de plusieurs territoires pendant la guerre et à la Libération. Mais de nombreux cinéastes ont également participé à documenter la vie quotidienne des Français, en filmant plus modestement leur vie de famille et leurs loisirs dans ce contexte bouleversé.

L’étau se desserre progressivement à partir du mois de juin 1944. Les deux débarquements alliés en Normandie (6 juin) et en Provence (15 août) marquent le début de la Libération du territoire français. Dans ce contexte d’euphorie, les cinéastes amateurs filment spontanément l’avancée des troupes alliées et la libération des villes dans leur sillage. Mais les documents tournés à cette période ne sont pas seulement des témoignages informatifs ; ce sont de véritables « films de souvenirs » (Julie Guillaumot) qui mettent en scène des images, des motifs et des symboles récurrents, comme l’arrivée des troupes, les défilés spontanés et les cérémonies officielles. Ces films s’inscrivent dans un puissant mouvement mémoriel, qui naît à la fin de la guerre, et partagent plusieurs objectifs communs. A travers leurs images, les cinéastes amateurs ne cherchent pas seulement à apporter un témoignage historique, mais à raconter une expérience singulière pour l’inscrire dans un cadre collectif. Et comme le montrent les nombreux films tournés à Oradour-sur-Glane après le massacre du 10 juin 1944, ces récits d’amateurs cherchent également à montrer et à décrire les crimes commis par les nazis pour en dénoncer leur barbarie.

Pour aller plus loin :

- Henry Rousso, Les années noires : Vivre sous l’Occupation, Gallimard, coll. Découvertes, Paris, 1992.

- Jean-Pierre Bertin-Maghit, Le cinéma français sous l’Occupation, Perrin, Paris, 2002. Voir aussi du même auteur, Les Documenteurs des Années Noires, Nouveau monde, Paris, 2004.

- Julie Guillaumot, « Des films monuments pour dire « L’Histoire de chez nous » : souvenirs et récits de la guerre par les cinéastes amateurs dans l’immédiat après-guerre (1944-1945) » in Valérie Vignaux, Benoît Turquety, L’Amateur en cinéma. Un autre paradigme. Histoire, esthétique, marges et institutions, AFRHC, Paris, 2016.

 

Seconde partie - Filmer la Libération et la fin de la guerre

 

Les opérations militaires de la Libération (1944-1945)

A l’été 1944, l’avancée des forces alliées et les actions de la Résistance intérieure aboutissent à la libération progressive de la France. De nombreuses localités deviennent vite le théâtre de batailles sanglantes entre la Wehrmacht, les armées régulières et les maquisards. Mais, mise en difficulté sur le front de l’Ouest, l’armée allemande doit évacuer une grande partie du territoire français. L’entrée des troupes alliées dans les villes libérées se fait dans une atmosphère euphorique et les scènes d’émotions intenses dans les rues sont désormais bien connues des spectateurs contemporains.

Les cinéastes amateurs ont largement contribué à populariser ces images à travers leurs nombreuses réalisations. La CDNA conservent actuellement plusieurs documents mettant en scène la libération d’une multitude de localités (Limoges, Périgueux, La Rochelle, Malesherbes, …). Ces films amateurs, tournés pendant la Libération, sont parcourus par des motifs récurrents comme le défilé des soldats dans les rues, les explosions de joie de la population, l’arrestation des soldats allemands et les scènes d’épuration. Mais si certaines séquences sont filmées d’une manière spontanée, les cinéastes amateurs n’hésitent pas non plus à mettre en scène cette réappropriation de l’espace local par les habitants et leurs libérateurs. Les gestes symboliques occupent une place centrale dans cette production : la destruction des symboles nazis, et leur remplacement par les attributs de la République, est souvent un passage incontournable du film de Libération.

Cette sélection est l’occasion de mettre en avant trois films de libération, dont deux ont été mis en ligne récemment (2024). Comme évoqué plus haut, ces trois archives filmiques partagent de nombreuses similitudes esthétiques : ils mettent d’abord en scène l’arrivée et le défilé des troupes alliées dans les rues, entourées par une foule enthousiaste. Pour les cinéastes amateurs, la Libération constitue un enjeu symbolique d’importance : elle marque aussi le retour de la liberté de filmer. Libérés des contraintes et des menaces de l’occupant, les cinéastes amateurs arpentent les rues des villes libérées pour être au plus près des évènements, et les filmer désormais au grand jour. En cela, ils participent également à la réappropriation de l’espace public par les habitants des territoires libérés.

Les documents présentent toutefois des particularités, qui ont trait à leur contexte de réalisation. Si la ville de Malesherbes est libérée par l’armée américaine, ce sont les Forces Françaises de l’Intérieur qui procèdent à la libération de Périgueux et de La Rochelle. De plus, ces libérations n’interviennent pas à la même période : Périgueux et Malesherbes sont libérées dès le mois d’août 1944 alors que La Rochelle constitue une poche de résistance allemande jusqu’en mai 1945. Ces différences contextuelles peuvent expliquer la présence ou l’absence de certaines séquences, comme les scènes d’épuration filmées par Jean et Paul-Louis Nardini à Malesherbes. Et si les symboles filmés témoignent d’un renversement de l’ordre établi pendant l’Occupation, ils ne sont pas systématiquement de même nature. A La Rochelle et Périgueux, les cinéastes amateurs mettent en avant la décoration des rues et l’exhibition du drapeau tricolore pour signifier le retour de la République. A Malesherbes, les Nardini choisissent plutôt de montrer les destructions pour exprimer la fin de la domination nazie.

 

Libération du Malesherbois

 

Libération de La Rochelle

 

Périgueux libérée

 

Les fêtes de la Victoire (1945)

La Seconde Guerre mondiale prend définitivement fin, en Europe, le 8 mai 1945, avec la capitulation du IIIe Reich. Dans la nuit du 6 au 7 mai, le général Jodl (chef d’état-major de l’armée allemande) signe la capitulation sans condition de la Wehrmacht à Reims en présence des généraux Smith et Eisenhower (Etats-Unis), du général Sevez (France) et du général Sousloparov (URSS). Dans la nuit du 8 au 9 mai, le maréchal Keitel et l’amiral Von Friedeburg signent un second acte de capitulation à Berlin, au quartier général du maréchal Joukov, en présence des représentants alliés.

La nouvelle de la capitulation de l’Allemagne nazie est rapidement relayée par la presse et dans tous les pays libérés. En France, elle est accueillie par la population avec émotion et soulagement. Mais, contrairement à la Libération, la liesse n’est plus seulement locale ; elle s’exprime au même moment dans tous les pays européens. Le discours du général de Gaulle, annonçant la victoire, est prononcé à la radio à 15h et retransmis dans tous les établissements et dans toutes les rues. Partout en France, une foule joyeuse investit les principales rues et places des villes. Les bâtiments publics et les monuments sont décorés de fleurs et revêtent les symboles républicains. Les gens chantent, dansent et s’embrassent.

Le gouvernement provisoire français, présidé par le général de Gaulle, décide d'organiser un grand défilé militaire à Paris, quarante jours plus tard, pour célébrer la victoire des Alliés et de la France Libre. Fixée au 18 juin 1945, cette grande fête de la Victoire permet de célébrer la fin de la guerre, tout en commémorant (déjà) l'anniversaire de l'appel aux Français du général de Gaulle, prononcé cinq ans auparavant.

Ces deux journées historiques ont été abondamment documentées et de nombreux clichés ont été réalisés pour immortaliser ces manifestations organisées ou spontanées. De nombreux films professionnels – des films d’actualité, majoritairement – ont contribué à imprégner l’imaginaire collectif de ces scènes de liesse et de fêtes effrénées. Présents dans la foule pour célébrer la Victoire, de nombreux cinéastes amateurs ont également produit localement des images, esthétiquement proches, de ces célébrations joyeuses. Le 8 mai 1945, un cinéaste anonyme a, par exemple, filmé le défilé improvisé des lycéens sur les quais de Tulle (Corrèze). A Poitiers, Jean Texier immortalise en simultanée la foule rassemblée autour d’un défilé militaire pour fêter la défaite de l’Allemagne nazie. A Paris, la famille Nardini se fonde dans la foule pour participer à la grande fête de la Victoire, organisée par le gouvernement le 18 juin 1945, et filmer l’imposante foule réunie sur la place de la Nation.

 

Jour de la Victoire à Tulle

 

Fête de la Victoire à Poitiers

 

Fête de la Victoire à Paris

 

L’hommage aux victimes de la barbarie nazie : les films sur Oradour (1944-1945)

Le 10 juin 1944, la division blindée SS Das Reich assassine 643 personnes à Oradour-sur-Glane et incendie l’intégralité de ce village situé en Haute-Vienne, commettant ainsi le plus important massacre de civils en France pendant la Seconde Guerre mondiale. La découverte du charnier, dès le lendemain, provoque la sidération de la population dans le département. A la Libération, les nouvelles autorités dénoncent cet acte de violence inouï et le sort funeste réservé à ce village martyr.

Dès la fin de la guerre, plusieurs films professionnels (actualités) sont réalisés à Oradour-sur-Glane pour rendre compte de la gravité du drame. Mais plusieurs cinéastes amateurs, comme Henri Vergniaud ou le couple Delrous, ont souvent été parmi les premiers à se rendre dans les ruines pour immortaliser le village incendié, quelques semaines après le massacre. D’autres ont également pu filmer l’exhumation des corps des victimes, comme celui de Sarah Jakobowicz en septembre 1944. Toutes les images amateures mettent en avant les ruines du village et se focalisent sur des objets incendiés, symboles des vies disparues. Elles sont parfois accompagnées de commentaires (voix off, cartons), soulignant l’ampleur des méfaits ou dénonçant la violence de l’acte. Ces films partagent les mêmes codes esthétiques et sont représentatifs de leur environnement médiatique : ils sont alimentés par les photographies de guerre qui alimentent déjà la presse de la Libération. Mais ces documents amateurs expriment surtout le besoin profond de la population de témoigner et leur réalisation participe déjà à la naissance d’un puissant mouvement mémoriel à la fin de la guerre.

Le 28 novembre 1944, le gouvernement provisoire décide de conserver les ruines du village pour en faire un symbole de la barbarie nazie. Alors que la guerre touche bientôt à sa fin, le général Charles de Gaulle se rend pour la première fois à Oradour-sur-Glane, le 5 mars 1945, pour rendre hommage aux victimes et y dénoncer les crimes nazis. Cette visite symbolique entérine également la décision de conserver les ruines dans leur état et acte la reconstruction du nouveau village à proximité de l’ancien site. Au milieu du village martyr, Charles de Gaulle indique vouloir faire d'Oradour-sur-Glane "le symbole des souffrances du peuple français pendant l'occupation" et attribue aux ruines une fonction mémorielle, "pour que de tels malheurs ne puissent plus se reproduire." Cette première visite du général de Gaulle à Oradour-sur-Glane a été l’objet de plusieurs films professionnels. Mais un architecte limougeaud a été en mesure de filmer le chef du gouvernement provisoire parmi le cortège d’officiels l’accompagnant. Ces images rares ont été rendues possible par le fait que leur auteur, Louis Mandon-Joly, fût l’un des architectes en charge de la reconstruction du nouvel Oradour-sur-Glane et fût responsable, à ce titre, de l’élaboration son nouveau groupe scolaire.

 

Oradour, après le passage de la Division SS Das Reich

 

Oradour-sur-Glane, village martyr

 

Obsèques de Sarah Jakobowicz

 

Visite du Général de Gaulle à Oradour

 

Retrouvez bientôt la dernière partie de cette sélection spéciale Seconde Guerre mondiale, consacrée aux films de la vie quotidienne.

Auteur : Dwayne Chavenon