Sélection CDNA - Février 2024 Mardi 05 Mars

A l’occasion de ce nouveau rendez-vous, nous vous proposons de découvrir la naissance du cinéma amateur dans l’entre-deux-guerres à travers une sélection de fonds filmiques anciens, composant les collections de la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine (CDNA).

Depuis l’invention du cinématographe des Frères Lumières en 1895, l’essor du cinéma professionnel incite certaines firmes à poursuivre l’objectif de rendre cette pratique accessible au plus grand nombre, avec du matériel peu onéreux et simple d’utilisation. Ces premières tentatives finissent par aboutir à un premier succès en Europe avec l’invention de la pellicule 9,5 mm et la commercialisation du matériel Pathé-Baby (projecteur, caméra) entre 1922 et 1923. L’apparition de nouveaux formats concurrents – le 16 mm et le 8 mm, développés par l’entreprise Kodak respectivement en 1923 et 1932 – permettent par la suite de stimuler le développement du cinéma amateur tout au long de l’entre-deux-guerres.

Dès les origines, des particuliers s’emparent de ce matériel pour réaliser des films sans objectif de commercialisation. Leur objectif est avant tout de filmer leur famille et leurs proches. Le cinéma amateur remplit vite plusieurs fonctions au sein de la famille : il participe à reconstruire une histoire familiale et à consolider une mémoire collective. Pour de nombreux cinéastes amateurs, la naissance d’un premier enfant marque souvent la naissance de leur pratique filmique. Elle accompagne une construction de la parenté ; ce qui peut expliquer la place importante des enfants dans la production amateure. Et à travers leur pratique individuelle, ces pionniers du cinéma amateur élaborent rapidement les codes esthétiques dominants du film de famille (regard caméra, esthétique photographique, …).

 

Robert Chabreyroux

https://cdna.memoirefilmiquenouvelleaquitaine.fr/films?realisateur=2107

La CDNA a récemment collecté et numérisé une centaine de films amateurs, tournés dans l’entre-deux-guerres, par un industriel de Tulle (Corrèze) : Robert Chabreyroux.

Né en 1899 à Brive-la-Gaillarde, Robert Chabreyroux est un cinéaste amateur précoce : il réalise ses premiers films au format 9,5 mm en 1925 ; deux années seulement après la commercialisation de la première caméra Pathé-Baby (1923). Robert Chabreyroux incarne bien cette première génération de cinéastes amateurs, curieux de découvrir rapidement ce nouveau système grand public et disposant de ressources leur permettant d’acquérir un matériel destiné à la petite bourgeoisie. Les films de Robert Chabreyroux sont, à bien des égards, représentatifs des premiers documents amateurs : le cinéaste a essentiellement filmé le quotidien de sa famille et mis en scène leur mode de vie et leurs loisirs. En effet, on retrouve dans les films de Robert Chabreyroux des éléments déjà constitutifs des films familiaux : ils mettent en scène des images de bonheur familial, qui rompent avec certains codes esthétiques du cinéma professionnel. Et, à l’image de la production amateur de la même époque, les enfants de Robert Chabreyroux occupent une place importante dans ses nombreux films.

Si une grande partie des films de Robert Chabreyroux ont été tournés à Brive-la-Gaillarde, le cinéaste a filmé ses voyages dans la région (Royan, île de Ré) et en Afrique du Nord (Tunisie, Algérie, Maroc). Robert Chabreyroux a parfois été le premier à filmer certaines localités ou monuments locaux, voir le seul (château du Rieu). Plusieurs documents sont un précieux témoignage animé d’un patrimoine aujourd’hui disparu, comme le Castel Henriette (œuvre architecturale d’Hector Guimard, figure de l’Art nouveau) à Sèvres ou l’ancienne ligne de tramway de Royan. Robert Chabreyroux a également pris soin de filmer la vie culturelle du territoire corrézien et de d’immortaliser certains évènements, comme le défilé des Chanteurs limousins dans les rues de Brive en 1926.

 

Les collections de la CDNA comprennent de nombreux films réalisés dans l’entre-deux-guerres, qui permettent de documenter la naissance et le développement du cinéma amateur. A l’image des films de Robert Chabreyroux, la CDNA conserve la production filmique de plusieurs cinéastes ayant commencé à filmer de manière précoce, au milieu des années 1920.

Joseph Hiriart a réalisé le film amateur le plus ancien du fonds de la CDNA : le cinéaste filme deux enfants dans un salon en 1923 ; soit l’année de commercialisation de la caméra Pathé-Baby. Si ce document illustre la simplicité et la praticité de ce nouvel équipement filmique, il symbolise aussi les premiers tâtonnements des cinéastes amateurs avec ce matériel et présage l’acquisition progressive des techniques de tournage et de cadrage.

Joseph Hiriart a réalisé plus d’une soixantaine de films amateurs au format 9,5 mm sur une courte période (1923-1926). A l’image de la production contemporaine, les films de Joseph Hiriart s’inscrivent dans un contexte familial et leur production relève avant tout d’une pratique de loisir. Certains documents peuvent toutefois témoigner d’une volonté documentaire précoce. En 1924, Joseph Hiriart immortalise la cérémonie religieuse qui consacre la pose de la première pierre de l’église du Saint-Sacrement à Metz. Le cinéaste a consacré cinq bobines à la réalisation de ce film et multiplié les angles de ses prises de vue pour renseigner le plus précisément possible l’évènement.

 

 

Henri Galtié

https://cdna.memoirefilmiquenouvelleaquitaine.fr/films?realisateur=2279

A l’inverse de la production de Joseph Hiriart, les premiers films amateurs peuvent aussi aboutir à une production familiale au long cours. Souvent mis en avant à l’occasion de nos sélections mensuelles, le fonds Laplante en est un bon exemple : cette famille de cinéastes amateurs a réalisé plus de 200 films sur une période d’une cinquantaine d’années. Ce fonds documentaire offre un précieux panorama de la pratique amateur du cinéma et de ses évolutions au fil du XXe siècle.

Les premiers films de ce fonds ont été réalisés par un opticien et commerçant, Henri Galtié, dès 1926. Propriétaire d’une boutique de matériel photographique et cinématographique dans les années 1920, le cinéaste est aux premières loges des innovations techniques qui conduisent à la création et la commercialisation des caméras destinées à un public amateur. C’est probablement pour cette raison qu’Henri Galtié commence à filmer au format 9,5 mm au milieu des années 1920, avec une caméra Pathé-Baby.

Comme ses contemporains, Henri Galtié réalise essentiellement des films mettant en scène sa famille, leurs voyages et leurs loisirs dans les Landes et les Pyrénées. Mais sa production présente un certain nombre de caractéristiques propres. Les paysages du Sud-Ouest occupent, par exemple, une place importante dans l’esthétique de ses films. Passionné d’aéronautique et pilote lui-même, Henri Galtié a également réalisé plusieurs films dans le cadre de l’Aéroclub du Pays basque, dont il est membre. En 1930, le cinéaste filme l’inauguration de la ligne commerciale Paris-Biarritz-Anglet. Henri Galtié a également filmé de nombreux modèles historiques d’avions, dont la construction maison de son propre planeur – le Pou du Ciel – dans le jardin de la villa familiale en 1935.

 

 

Martial et Andrée Verger-Pratoucy

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Parfois, il peut être difficile d’identifier précisément l’auteur d’une production filmique amateur. Certains fonds filmiques – comme celui de la famille Laplante, évoqué plus haut – peuvent être le résultat d’une pratique anonyme et/ou collective du cinéma. En effet, la simplicité et la légèreté des premières caméras destinées à un public amateur font qu’elles peuvent être facilement utilisées et échangées par les différents membres d’une famille, qui en profitent pour se filmer à tour de rôle. Les publicités des premières caméras Pathé-Baby incitent d’ailleurs à cette pratique collective, en précisant qu’elles peuvent être utilisées aussi bien par les adultes que les enfants. Il n’est donc pas rare de voir plusieurs membres d’une même famille filmer simultanément d’une manière assidue. Plusieurs fonds notables de la CDNA, produits dans l’entre-deux-guerres, ont d’ailleurs été tournés par des couples. C’est le cas, par exemple, des films réalisés par Martial et Andrée Verger-Pratoucy. Ce type de fonds filmique est d’autant plus importants que les femmes cinéastes sont encore rares à cette période : la pratique du cinéma est surtout une pratique masculine. Toutefois, de nombreuses femmes ont pu filmer précocement au cours de l’entre-deux-guerres, mais elles ont rarement été créditées et/ou identifiées comme des cinéastes à part entière.

Martial et Andrée Verger-Pratoucy ont commencé à filmer à la fin des années 1920. Les films du couple présentent des similitudes avec les documents amateurs, produits à la même époque : le fonds filmique des Verger-Pratoucy se compose aussi de nombreux films de famille, mettant en scène les loisirs du couple avec leur unique enfant. Toutefois, leur production affiche des caractères originaux. Contrairement à la plupart des cinéastes amateurs de cette période, le couple Verger-Pratoucy choisit de débuter sa pratique avec un format semi-professionnel : le 16 mm, commercialisé par l’entreprise Kodak en 1923. Plusieurs films de voyage reflètent également le parcours de vie atypique du couple. Issus de la bourgeoisie provinciale et du milieu intellectuel parisien, Martial et Andrée Verger-Pratoucy se rendent plusieurs fois aux Etats-Unis pour fréquenter les établissements universitaires d’Alma (Michigan) et de Buffalo (New-York). Au début des années 1930, Andrée Verger-Pratoucy écrit pour un journal de Détroit (Dearborn Independant) et travaille pour Henry Ford II. Le couple se procure sa première caméra aux Etats-Unis et commence à filmer son quotidien sur le continent nord-américain, sur les campus (Alma, Princeton) et dans les grandes villes de la côte Est (Buffalo, New-York City, Washington).

Andrée Verger-Pratoucy filma également ses voyages en Autriche et en Tchécoslovaquie (1936-1937), à l’occasion de plusieurs reportages publiés dans la presse. Plusieurs films permettent également de saisir le lien étroit qu’entretient le couple Verger-Pratoucy avec les milieux artistiques et intellectuels, comme en témoignent ces documents mettant en scène le mariage du fils de l’écrivain Jean Paulhan et les vacances du couple à Belle-Île-en-Mer avec l’actrice et chanteuse Arletty.

 

 

Yvon et Suzanne Delrous

https://cdna.memoirefilmiquenouvelleaquitaine.fr/films?realisateur=315

Alors que des pionniers filment et expérimentent de leur côté depuis quelques années, le cinéma amateur gagne fortement en popularité au début des années 1930 et poursuit son développement tout au long de la décennie, grâce à l’apparition du format 8 mm moins onéreux et de nouvelles revues (Ciné Amateur, Cinéma pour tous) permettant d’obtenir des informations sur le matériel et des conseils techniques.

C’est dans ce cadre qu’un autre couple de cinéastes amateurs, Yvon et Suzanne Delrous, débute sa pratique du cinéma amateur en 1938 ; soit près d’une décennie après les premiers films réalisés par les Verger-Pratoucy. Yvon et Suzanne Delrous adoptent une caméra et des pellicules au format 8 mm, lancés en 1932 par Kodak pour concurrencer le Pathé-Baby. Ce choix symbolise bien la démocratisation rapide du cinéma amateur dans les années 1930 ; le format 8 mm, moins coûteux, s’imposant progressivement au détriment du format 9,5 mm.

La production filmique des Delrous s’inscrit dans les thématiques classiques du cinéma amateur mais témoigne aussi d’une volonté d’utiliser ce support pour informer et témoigner. En 1939, le couple filme, par exemple, la fête des conscrits à Villefranche (Rhône) en incluant des articles de presse dans le montage du film pour expliquer et contextualiser l’évènement. Mais, surtout, le couple profite de la souplesse de leur matériel pour immortaliser des évènements historiques, comme le passage de la Division de Fer à Limoges après l’armistice (1940) et la visite du maréchal Pétain et de l’amiral Darlan dans la même ville en 1941.

Auteur : Dwayne Chavenon